Depuis la prison civile de Lomé, l’activiste Foly Satchivi ne raccroche pas. Il maintient son engagement pour la libération du Togo. Dans une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, le président du mouvement « En Aucun Cas » exige la libération de tous les détenus politiques du pays, y compris lui-même. Lecture!
Monsieur le Président de la République
Je ne suis ni un bien meuble ni votre propriété privée, pour que vous disposiez comme bon vous semble de ma vie.
Si j’en viens à m’adresser à vous, en ces termes, depuis la prison civile de Lomé où vous m’avez fait prisonnier, c’est à cause de tout ce que votre régime m’a fait subir injustement.
Permettez-moi de vous les rappeler:
– Le 29 novembre 2016, j’ai été injustement arrêté à l’entrée du campus de Lomé et relâché le même jour après avoir été effroyablement humilié au commissariat central.
– Le 5 mai 2017, je suis violemment arrêté par des agents de la police universitaire, séquestré et torturé pendant des heures dans le bureau du chef de ce corps à la présidence de l’université de Lomé. À ma libération, je ne pouvais ni marcher ni voir convenablement. J’avais été tellement battu. Mon nez saignait.
– Le 14 juin 2017, sans raison, vos collaborateurs de l’Université de Lomé m’ont fait arrêté et déféré à la prison civile de Lomé après m’avoir passé à tabac dans la voiture et au commissariat central. Je n’ai été libéré que deux semaines après, à l’issue d’un simulacre de procès au bout duquel j’ai été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis.
– Deux semaines après ma libération, c’est-à-dire le 13 juillet 2017, ma chambre fut complètement incendiée pendant mon sommeil. Mais mon heure n’étant pas encore arrivée, j’ai pu miraculeusement m’en sortir. Les marques de cet incendie je le porte toujours en moi et sur moi. Les douleurs je les ressens toujours.
– Dix jours après, des agents de la police universitaire vinrent me débarquer de la salle d’examen au motif que je n’étais pas inscrit à l’université de Lomé pour le compte de l’année académique 2016-2017. Ce qui était totalement absurde. Puisque je disposais de tous les supports authentiques attestant la validité de mon inscription.
– Le 06 février 2018, je fus arrêté, avec d’autres camarades étudiants au domicile d’un ami et membre de la LTDE, par des miliciens, torturé puis remis à la police et enfin détenu au secret pendant deux jours à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) avant d’être libéré sous contrôle judiciaire.
– Les résultats de mes évaluations comptant pour l’année académique 2017 – 2018, même en l’absence cette fois, de fausses accusations sur mon inscription, n’ont pas été rendus publics. Les réclamations que j’ai introduites, depuis lors, sont restées sans suite.
Mon seul et véritable crime, s’il en était, a été d’avoir demandé, en tant que Président de la Ligue Togolaise des Droits des Étudiants (LTDE), l’amélioration des conditions de vie, d’études et d’évaluation des étudiants des universités de Lomé et de Kara.
Pensant que les persécutions et arrestations qui avaient depuis un moment laissé la place aux intimidations et menaces de morts étaient finies, me voilà de nouveau, depuis le 22 août 2018 entre les mains du Service des Renseignements et des Investigations (SRI). Pendant deux jours, j’ai été privé de nourritures et de visite. J’ai été ensuite transféré à la prison civile de Lomé, après une farce procédurale devant le procureur de la République et le doyen des juges d’instruction.
Toutes les demandes de mises en liberté provisoire introduites ont été rejetées.
Depuis plus de trois semaines, je suis gravement malade. Mais même l’accès aux soins m’est refusé. Certains de vos acolytes contactent ma mère pour lui dire que je ne serais libéré que si je demande pardon.
Pourquoi devrais-je demander pardon ? Parce que j’ai volé, tué, violé, braqué, escroqué, tiré à bout portant sur des manifestants ou passer à tabac des citoyens ? Ou bien pour avoir réclamé mes droits et la liberté de mon peuple que, depuis 51 ans le régime que vous incarnez opprime, écrase, terrorise, affame, abêtit, clochardise et exploite ?
Non, je ne le ferai pas. Ni aujourd’hui, ni demain, ni après demain. Car je ne me sens en rien coupable.
Je ne me retrouve dans aucune des allégations mensongères du ministre de la Sécurité et de la Protection civile qui me furent rapportées. Celui-çi, paraît-il, déclarait le lendemain de mon arrestation sur Radio France Internationale (RFI) que j’aurais déroulé une banderole du Mouvement EN AUCUN CAS devant les gendarmes dépêchés sur les lieux. Or, le procès verbal établi suite à la perquisition laisse clairement transparaître que c’est à mon domicile que cette banderole a été retrouvée.
Comment cette banderole que j’aurais déroulé devant les gendarmes au moment de mon arrestation a-t-il pu se retrouver à la maison ? Peut-être a-t-elle disparu d’elle-même pour se retrouver dans la chambre fermée à clef?
Monsieur le Président,
Par respect aux textes et instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, aux accords ACP-UE, aux conventions et protocoles de la CEDEAO, de l’Union Africaine auxquels vous avez souscrit et à enfin à la feuille de route de la CEDEAO, veuillez me laisser sortir.
Vous m’avez déjà pris beaucoup. Je n’accepte pas que vous me prenez encore le peu de droits et de liberté qui me reste.
Malgré les persécutions que vous avez fait abattre sur moi, je me disais toujours qu’il existerait en vous, en dépit de l’opinion répandue, un peu humanisme qui n’attendait qu’une petite étincelle pour se transformer en un grand amour patriotique pour les citoyens et cette terre commune dont nous sommes les héritiers.
En ordonnant ma libération et celle de tous mes compatriotes injustement incarcérés, vous ferez naître dans l’esprit des institutions internationales, des investisseurs étrangers, des organisations défense des droits de l’homme, des médias nationaux et internationaux et des citoyens de tous les pays, qui jusqu’alors vous présente en grand despote, une lueur d’espoir.
Espérant qu’à travers cette missive je ne vous ai pas froissé davantage et qu’après lecture, vous ferez prendre les mesures urgentes qui s’imposent en vue de ma libération et celle de mes compatriotes prisonniers politiques ou d’opinion dans les prochaines heures, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments distingués